Véronique Lagriffoul

TÊTES DE CARACTÈRES

Les « têtes de caractères » apparaissent comme des créatures personnifiées, expressives, représentant des êtres hybrides, porteurs d’une énergie vitale.

Le travail sur les figures passe par l’élément terre(la matrice), cette minéralité tonique, docile, humide qui engendre une intemporalité primitive. Ma sculpture est un corps à corps physique avec cette matière essentielle que je transforme en de multiples lames et plaques d’argile enchevêtrées. Ces strates de plis s’agglutinent, se superposent par une sédimentation accidentelle. Des formes émergent de ce chaos, de ce magma en une sorte d’énergie brute libératrice.

C’est dans ces traces de vie, une fois mises en forme, que je trouve mes créatures hors du temps. Je les libère de leurs carapaces protectrices grâce à la déformation et dans la défiguration. C’est grâce à cette liberté donnée par l’abstraction du pli, ce désordre de terre où le creux se fait plein, où la lumière se joue des conventions, que je dégage l’intériorité et la souffrance de l’être.

Ce n’est pas un épiderme qui les recouvre, qui unifie les visages mais la chair d’un écorché vif, une forme d’enveloppe viscérale dans un empilement organique méticuleux et fragile. Dans les figures, le pli est un attribut contradictoire pour être à la fois l’expression de l’usure du corps avec les aspérités de la vie, les rides profondes et l’accentuation du vécu et du ressenti humain jusqu'à la déformation exagérée par les grimaces. Sur ces visages les plis sont les stigmates, les reflets de leurs psychoses, de leurs pulsions profondes. C’est le pli de l’intime, le capteur de mémoire.

Ce sont les gueules cassées de la vie dans notre société où s’accumulent les difficultés. L’humanité peine à survivre, à évoluer sans détruire. Il faut absorber la culpabilité des hommes pour aider à apprivoiser la terre. Malgré tout, à travers cet amas de plis, ces lambeaux d’êtres, mes figures restent positives et gardent une pointe d’humour avec leurs têtes grimaçantes, mi-homme mi-animal et leurs monstruosités grotesques.

Ce besoin irrésistible d’humaniser mes sculptures me sert à comprendre, à voir au travers de l’autre, pour être plus proche, dans un face à face dénué de tout faux-semblant et empreint d‘une réelle sincérité et générosité. Pour enfin laisser vivre mes personnages mis à jour, mis à nu et symboliser leur essentiel, « leur être ».

– Véronique Lagriffoul